lundi 7 novembre 2011

Le transmedia une mise en abyme médiatique

Le transmedia, c’est quoi ce truc ? Un groupe de communication dédié au troisième sexe ? Non, alors qu’est ce que c’est ?
Pour faire simple prenons la définition inscrite dans le Transmedia Lab. :
« Le Transmedia consiste à développer un contenu narratif sur plusieurs media en différenciant le contenu développé les capacités d’interaction (engagement) en fonction des spécificités de chaque media. A la différence du crossmedia ou du plurimedia qui décline un contenu principal sur des medias complémentaires, le transmedia exige un récit spécifique sur chaque media et donne la possibilité au public d’utiliser différents points d’entrée dans l’histoire (circulation de l’audience). »

Du scénario à l’urbanisme

Le transmedia permet donc de raconter des histoires sur différents supports ayant chacune leurs propres spécificités mais pouvant interagir entre elles. Se lancer dans une telle entreprise implique donc d’être capable d’avoir une vision globale du projet. On parle de story architect, mais je pense que le terme devrait être plus vaste, on pourrait parler en français d’urbaniste d’histoire, à l’instar d’une ville où chaque lieu, public ou privé a sa propre organisation et ses propres histoires mais chacun évolue grâce aux autres et doit s’organiser autant de manière géographique qu’architecturale.

Prenons un exemple :
A Story_ville il y a une école, une mairie, un stade de foot, une entreprise de traitement des déchets, une radio, un journal, des commerçants, des blogueurs et un club de danse. Chaque entité produit ses propres évènements et ses propres histoires. A l’école Arthur le fils d’Eva vient de gagner le concours de toupies Beyblades à la pause de midi. Romane sa challengeuse est désespérée de cette défaite d’autant qu’elle a perdue sa meilleure toupie dans l’affaire et qu’elle n’a pas d’argent pour en acheter une nouvelle pour prendre sa revanche. Ludovic le père de Romane travaille comme employé municipal, il s’occupe du budget environnement de la commune et il a fort à faire avec Garbage Inc. la société de traitement de la ville qui refuse de baisser ses coûts de fonctionnement, cela risque d’augmenter les impôts de la ville et mécaniquement de baisser les subvention culturelles. Eva la mère d’Arthur et la fille de Pierre préside l’association de danse de la ville, elle cherche une nouvelle salle pour ses adhérents la précédente venant d’être annexée par le stade pour en faire des vestiaires. Samir le marchant de presse vend  un peu de tout dans son échoppe,  il vient d’ailleurs de recevoir les dernières toupies Beyblade et il est persuadé qu’elles vont se vendre comme des petits pains et cela malgré la chronique de Laurent ce matin sur Radio Story_ville. Laurent a passé la nuit à lire les blogs des habitants de sa ville et il s’est rendu à l’évidence : il y a une grande inquiétude chez de nombreux parents, les toupies Beyblades accaparent beaucoup trop leur rejetons et ça fait plein d’histoires entre les gamins qui finissent par envenimer les relations entre les parents. Pierre le père d’Eva, vient encore d’écrire au maire pour que ce dernier organise une réunion entre les citoyens pour parler du projet de nouveau rond point dans le centre ville. Pierre adore écrire au maire, comme à la radio, et ouvrir des blogs anonymes à ses heures perdues. Et du temps Pierre en a, il est à la retraite, c’est d’ailleurs la personne la plus active de Story_ville. Le soir lorsqu’Arthur son petit fils lui annonce qu’il vient de battre Romane la meilleure lanceuse de toupie de l’école, Pierre est aux anges, comme à chacune de ses victoires son petit fils lui donne le trophée contre un billet de 10 euros. Le trophée ira directement dans les incinérateurs de Garbage Inc., tandis que Pierre continuera à écrire sur son blog anonyme l’histoire de sa ville et les méfaits des toupies sur les enfants qui feraient mieux d’aller danser au stade de foot. Etc.

Un tas d’histoires personnelles puis globales sont donc possibles et évolutives, mais nous pouvons remarquer que le plus important est à la fois l’univers dans lequel se déroulent les histoires mais peut être plus encore les personnages qui le peuplent, ce sont eux qui vont créer une adhésion ou pas (mon exemple de Story_ville ne pourrait certainement pas en créer tant les personnages manque là de profondeur J mais ce n’est pas le propos). Et ces personnages ont tous des « backstory », les backstory sont très importantes car elles permettent de densifier au fur et à mesure les personnages et de distiller des informations qui vont enrichir le contenu et la pérennité des histoires

Tirer profit des œuvres passées
A l’instar de Short Cuts, D’amour chienne, ou encore de The hours les films chorale déclinent des histoires différentes mais qui finissent par interagir ensemble, il y a un lien. Le transmedia est comme Story_ville ou Short cuts, c’est une série d’histoires qui ont leur propre support mais qui ont un lien entre elle, le lien c’est le monde dans lequel elles évoluent. Mais il y a une donnée supplémentaire, et pas des moindres, c’est la possibilité pour le télé_web_lecteur_spectateur_joueur d’agir dans une des histoires voir de rencontrer réellement ou/et virtuellement un autre qui agit lui aussi sur une autre histoire et les deux peuvent être des acteurs-joueurs d’un ARG dont les ramifications s’étendent jusque dans les univers narratifs de chacun et de bien d’autres encore.
Bref le champ des possibles est infini. Car comme lorsqu’on lit un roman, on se l’approprie. Certes l’auteur a écrit une histoire sortie de son imagination, c’est son histoire, ses personnages, son drama, ses émotions et ses interprétations, et pourtant lorsqu’on la lit elle devient notre avec nos projections, notre affectif et notre propre imaginaire (qui s’est lui-même construit à travers notre propre histoire, rencontres et lectures précédentes). Le transmedia permet cela à la fois dans le virtuel et dans le réel, dans la vie et dans la fantaisie. On pourrait alors imaginer que le paroxysme de cette narration serait de ne plus distinguer la réalité de la fiction, à l’instar des romans de Philip K.Dick la frontière entre illusion, fantasme et réalité n’existerait plus. Voilà une réflexion vertigineuse pour philosophes et psychologues.

La mise en abyme comme moteur du story world.
Nous voyons bien que pour penser transmedia il faut donc être capable d’être un architecte, d’être un urbaniste et d’être un scénariste. Il faut aussi penser résonnance et échos, même si les supports et les histoires sont différents ces dernières vont résonner entre elles et cela grâce au drama (à l’action) des personnages qui les composent.

Peut-on dire alors que le transmedia rejoint un procédé artistique bien connu « la mise en abyme » ?

De Proust à John Irving en passant par André Gide beaucoup d’auteurs de littérature ont utilisé ce procédé, comme en cinéma The Player d’Altman, la Nuit Américaine de Truffaut, Sueur Froide d’Hitchcock, The Game de Fincher et j’en passe. Ce procédé qui consiste à raconter un récit à l’intérieur même du récit utilise qu’un seul média mais décline des histoires dans l’histoire qui vont interagir sur l’histoire.
Il ya de la mise en abyme et une frontière poreuse entre illusion et réalité fictionnée. Si je devais retenir un film et un livre, les plus significatifs à mon avis seraient:
- « Le limier » (1972) le film chef d’œuvre de Mankiewicz qui réussit l’exploit de mettre en abyme le théâtre dans un film issue d’une pièce de théâtre, de créditer au générique 6 acteurs et actrices alors qu’il y en a que deux dont l’un incarne un auteur de polar. Le château dans lequel se déroule l’action est décoré avec des trompe-l’œil, et l’histoire se construit selon le scénario d’un des personnages qui est avide d’énigme et de mystification, enfin ce processus fini par intégrer le spectateur dans le drame qui se déroule devant lui. Euh vous me suivez? :-)

- Le livre « Le maître du Haut Château » (1962) de Philip K.Dick ce chef d’œuvre de la science fiction annonce une révolution narrative. Le pitch est simple alors que l’architecture de l’histoire est très complexe. Pour résumer : ce ne sont pas les Alliés qui ont gagné la Seconde Guerre Mondiale mais les forces de l’Axe, la Californie est désormais administrée par les japonais. Roman chorale ont découvre plusieurs personnages avec leur propres histoires, toutes ces histoires se croisent sans se rencontrer, mais une chose les lient entre elles : un roman qui est entrain de s’écrire « La Sauterelle » roman qui raconte que l’Axe n’a jamais gagné la guerre mais que se sont bien les Alliés les vainqueurs. En bref nous lisons un livre qui raconte une uchronie (le fait de changer réécrire l’histoire en modifiant un évènement du passé) mais dont un autre livre dans l’histoire raconte la réalité telle qu’on la connait. Vous suivez toujours? ;-)




De l’intérieur à l’extérieur


Pour conclure je dirais que quelque soit le projet transmedia à architecturer, il faut penser supports:
Internet / Audiovisuel / Cinéma / Editions / Photographie/ Spectacles vivants / Evénementiel / BD / Mobiles. Et contenus à deux niveaux :
      1Narratif : romans, nouvelles, articles, film, vidéo, teaser etc.
      2Interaction : jeu, évènementiel, création-participative.
Et être capable d’intégrer la place du hasard, ce qui ne se maîtrise pas, ce qui vous échappe. Evidement tout ceci doit être pensé en amont mais après que vous ayez défini l’objectif du projet, s’il est purement artistique, s’il est commercial, ou les deux à la fois J
J’ajouterais qu’un projet déclinant des histoires indépendantes sur différents supports est construit sur l’intériorité, sur ce qui se passe dans chaque contenant et ce projet doit se projeter ensuite vers l’extérieur qui sera le moteur de l’intéraction entre les différentes histoires et éléments. Pour paraphraser Hegel ou pourrait dire : « Un intérieur qui n'aurait pas d'extérieur ne serait même pas un intérieur ».

Ainsi il faut penser à laisser une place ne se serait-ce qu’infime dans chaque module créatifs à l'un des autres ou à tous les autres modules ce qui rendra la mise en abyme, la subtilité et la durée de vie de votre projet encore plus vastes. 

Enfin, il faut penser équipe. C’est une œuvre avant tout collective.

Et maintenant place à l’imaginaire et à la coopération.



Merci et restez curieux

Matthieu Bernard

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